| Je suis un restavec, poussière de vie au destin écrit |
| J’suis pas pro-Aristide, moi j’meurs de vivre en Haiti |
| Un restavec slave, esclave, la bouche en bec |
| Ma chair, ma mère m’a vendu pour becqueter des insectes |
| J’suis l’dernier «zouaille» un jouet, un oiseau sans ailes |
| A mes aieux, une question: pourquoi avoir vogué vers les îles? |
| Je n’ai pas de maîtres blancs, que des négriers, négrillons |
| Je hais l’Haitien quand il cause comme un colon |
| Christophe, ce n’est pas mon nom, mais eux ils me parlent d’Hispaniola |
| Je suis un restavec, c’est ce qu’ils disent alors je reste là |
| Toujours à portée d’voix à les écouter, tendre l’oreille |
| Quand ils chantent que je suis comme un mauvais disque que l’on raye |
| Un sous-fifre rendu muet affamé |
| Voyant tout sourire comme une fleur disparue ou fanée |
| J’ai trop vite grandi pour pouvoir croire aux chimères |
| Haiti, la France t’as prise hier, aujourd’hui l’Amérique t’incarcère |
| Indépendante, non ! T’es comme moi, négresse |
| T’es qu’une restavec et non un vers de René Depestre |
| Moi je voulais fuir, mais j’ai sur l’dos des Staline |
| Qui m’empêchent de quitter le mal de l’empire Dessalines |
| Les yeux éteints, mes paupières tombent mes cils |
| Et je rêve et je rêve et je rêve d’exil |
| Mes doigts courent sur une terre rouge, je m'évade |
| Mon béton est armé de mes rêves de ballades |
| Gonaives, il pleut du déboisement, je mange des ordures |
| Près de chiens errants qui confondent baisemains avec morsures |
| Aucun danger, j’ai le choléra en cholestérol |
| Quand ils me mordent, ils sucent mon sang, ça fait office de formol |
| J’entends leurs crocs et l'écho de maisons qui émettent en créole |
| Une radio interne, un son inter, la voix perçante d’une idole |
| Qui me pousse à croire en moi et que j’suis une légende en mini |
| Taille pygmée, indigène ami des paroles de Jean Dominique |
| Mais ça ne dure que l’temps d’une onde et quand elle finit |
| Je redeviens un restavec à qui l’espoir n’est pas permis |
| Un restavec: poucet, poussin, mauvaise pousse pour ceux |
| Qui ont dû oublier la passion de liberté de monsieur Toussaint |
| Les yeux éteints, mes paupières tombent mes cils |
| Et je rêve et je rêve et je rêve d’exil |
| Mes doigts courent sur une terre rouge, je m'évade |
| Mon béton est armé de mes rêves de ballades |
| J’ai décrété: le monde est flingué selon mes critères |
| Pour survivre sur cette terre, j’ai dû maîtriser l’art de la guerre |
| J’ai les mains moites, un goût de métal dans la bouche |
| De l’essence et du sang des pneus qui fument et des cartouches |
| Jean-Bertrand, j’ai l’Koutla et l’sourire berbère tranche |
| Mon coeur s’perd, peine, penche vers la fureur parce que nos vies étanchent |
| C’est le marasme, ils veulent massacrer ma race |
| A mes trousses, à mes traces, j’ai les chimères Lavalas |
| La vie lasse harrasse, passe, les rastas la fréquentent |
| C’est la révolte à Port-au-Prince, y a du Marley sur la fréquence |
| «Get up Stand up», moi, j’mate les cohortes et les meutes |
| Le berceau des insurgés est un taudis, cuve d'émeutes |
| Ente Toussaint Louverture et Jean-Jacques Dessalines |
| Les mots, les dates s’alignent et puis le peuple s’allie |
| Haiti, première République, impasse du temps qui passe |
| La basse tabasse, y a du champagne dans la calebasse |
| Les yeux éteints, mes paupières tombent mes cils |
| Et je rêve et je rêve et je rêve d’exil |
| Mes doigts courent sur une terre rouge, je m'évade |
| Mon béton est armé de mes rêves de ballades |