| Je voudrais être ce monsieur qui passe
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| Ce monsieur qui passe sans se presser
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| Il a le charme des princes de race
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| Qu’on a mis au monde tout habillés
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| Costume en lin, chemise en soie
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| Cravate à pois, chaussures en daim
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| Ce monsieur-là connaît bien son solfège
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| Il joue comme un Chopin des Nocturnes en arpège
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| Coupe au rasoir, ongles soignés
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| Montre en sautoir, parfum discret
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| Ce monsieur-là a la taille rêvée
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| Pour marcher dans la foule sans lever le nez
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| Et je voudrais être ce monsieur qui passe
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| Ce monsieur qui passe et ne me voit pas
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| Avoir ce regard où je ne vois trace
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| Du regret de qui, de l’ennui de quoi
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| Qu’il me fait envie, que je voudrais être
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| Ce monsieur qui passe et qui n’est pas moi
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| Moi dont je suis las, dans qui je m’empêtre
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| Que je n’aime pas
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| Je voudrais être ce monsieur qui passe
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| Il a le sourire des gens satisfaits
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| Et dans sa tête d’où rien ne dépasse
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| Tout est à sa place, tout est rangé
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| Voiture de sport, ski à Morzine
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| Yacht aux Açores, le grand standing
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| Je quitte tout, je veux vivre sa vie
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| Et puis j’offre la mienne à n’importe quel prix
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| Museau fripé, nez en avant
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| Sourcils fâchés, les yeux tombants
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| Mes folies douces et mes peines de cœur
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| Allez, je brade tout, le pire et le meilleur
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| Que je voudrais être ce monsieur qui passe
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| Ce monsieur qui passe et qui ne sait rien
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| Rien de mes espoirs, rien de mes angoisses
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| Rien de mes révoltes serrées dans mes poings
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| Je veux une vie où tout soit limpide
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| Où ne traînent pas tant des chiens perdus
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| Tant d'étés fanés, tant de chambres vides
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| Tant d’amours déçues
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| Ça y est! |
| c’est moi lui, je passe à sa place
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| Ma peau se défroisse, je deviens charmant
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| Qu’est-ce que c’est vaste, enfin j’ai de l’espace
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| Sa tête, ô miracle, me va comme un gant
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| J’garde ma Jaguar, j’mange chez Régine
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| J’commande à boire, je me sens «in»
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| J’ai plus d’idées, enfin je suis tranquille
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| Les idées, cher Edgar, c’est pour les imbéciles
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| Je rentre chez moi, enfin, chez lui
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| J’entends une voix: «Bonsoir chéri !»
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| Non, pas sa femme ! |
| Non, pas sa femme à lui !
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| Non, pas sa femme, pas sa femme à lui !
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| Je ne veux plus être ce monsieur qui passe
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| Et grand bien lui fasse d'être aussi beau
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| Je lui rends sa femme, ses tableaux de chasse
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| Je reprends mes billes, rendez-moi ma peau
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| Monsieur qui passez au regard tranquille
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| Comme je vous plains de n'être pas moi
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| Gardez votre cœur plein d’automobiles
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| Je garde le mien, je rentre chez moi. |