| J’ai tellement parlé de la mort que j’ai cru la noyer, la submerger de ma vie,
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| l’emmerder tant et tellement qu’elle abandonne l’idée même de m’emmener avec
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| elle
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| J’ai tout essayé, j’ai peint, j’ai hurlé, j’ai pénétré le pays entier
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| Je lui ai dit c’est pas possible, je suis trop petit pour mourir
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| J’y ai cru, tout le monde y a cru, et puis un matin c’est plus pareil,
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| au pied de ton lit ça ricane et se secoue le paquet d’os
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| Et ça fait une petite musique et ça te regarde de toute sa sale gueule et ça te
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| dit
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| «Ca va? |
| Faut que t’y passes comme tous les autres. |
| Tu as pu blouser les hommes
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| mais pas ton destin. |
| T’as noyé le poisson mais son odeur dégueulasse ne t’a
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| jamais quitté.»
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| C’est un long voyage cette pensée sur des années, tous ces sentiments qui vont
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| et viennent en hurlant
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| Ils repartent en rampant et reviendront plus forts
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| Alors la nuit se réveille, les peurs et les cris, tout ce qu’on ravale et tout
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| ce qu’on planque, tout ce que l’on ne veut pas voir, mais le rêve ne sait
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| mentir et la nuit m'épuise
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| Je suis là, je marche mes trente-quatre ans, je me demande combien de fois une
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| vie peut-elle basculer, de combien de naufrages peut-on se retrouver chié,
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| épuisé sur une plage aux vapeurs mortelles de marée noire
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| Je suis là, salut toubib, je suis sur la route, la mauvaise pente comme toujours
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| Tout ça c’est pas beaucoup, on fera avec
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| J’ai passé ces années sans phare, échouant sur mille récifs. |
| J’aurai bu toute
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| cette mer de la planète des femmes
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| J’ai rallié mon île à d’entiers continents, baragouinant mon idiot idiome
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| esperantiste, la langue du baiser
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| J’ai passé ces années de suie à faire la cheminée, attrapant au passage dans la
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| fumée l’histoire de ce feu en moi, dévorant comme le renard du petit spartiate
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| J’ai passé ces années de vent, un voile dans le sourire, à tempêter dans le
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| courant ascendant, plus haut que mon cul, dispensant mon odeur aux alizés |